Thomas Couderc

Thomas Couderc, " La matrice ", 2014, vue de la sculpture, Château Grand Boise, courtesy de l’artiste, copyright Laurent Barbier.Thomas Couderc, Sans titre, 2014, projet Château Grand Boise, courtesy Laurent Barbier.
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Vit et travaille à Marseille

Résidence : Château Grand Boise, Trets

Champ magnétique du quotidien

Pilote 00.01

Pilote 00.01 se révèle être une sculpture complexe, plutôt qu'une installation, qui délivre une forme particulière de travail sur scénario. Thomas Couderc en est l'artiste et le metteur en scène. Le titre de cet ensemble, nous propose une première lecture du synopsis. Un pilote désigne l'épisode zéro d'une série télévisée servant à introduire les personnages et l'univers mis en scène. Le spectateur doit prendre la mesure de l'hétéropie et de l'hétérochronie de l'oeuvre qui se joue autant devant ses yeux ainsi qu'avec lui.

 

La matrice

Une structure blanchie comme des os prend en charge le lieu jusqu'à embrouiller sa charpente. Elle compose ce que j'appelle l'inscène, une "grille de lecture" organique, une matrice difforme et énigmatique autant que rayonnante et invasive. Elle détermine la composition plastique de l'espace, un socle conceptuel et un champ de résistance, architecture d'intérieur dans son sens biologique. Un étrange milieu prend forme d'un ordre à la fois géométrique et reptilien, calculé et inachevé, qui donne littéralement la vision d'un chaos hyperorganisé. Cette ossature stéréotomique oscille ainsi entre plusieurs topiques de la sculpture, l'assemblage, le modelage, la taille et la modélisation, afin de bâtir une sorte de topographie de décor façon casse-tête chinois. Ce jeu de construction du plein par le vide signifie que l'oeuvre est un conteneur physique et mental, qu'elle représente une expansion dans l'espace, le temps et l'imaginaire. Plus qu'un "work in progress", quelque chose est en train d'avoir lieu. On retrouve ici une dynamique de montage qui rejoint une logique de bricolage, un goût de l'expérimentation propre au travail artistique de Thomas Couderc. On retrouve également l'un des fondements de ses pièces dans le sens où l'oeuvre n'a pas à être déchiffrée mais à être explorée. L'imagination doit rebondir, toujours être en mouvement, faire "action", mettre bout à bout des morceaux hétérogènes pour des enchaînements parfois inimaginables, toujours aller de l'avant, tailler la route.

Le blanc est ici l'uniforme du formalisme pour dévitaliser les matériaux et les mettre raccord, pour aller au-delà d'un plaisir d'enfant de créer un monde imaginaire sur le monde réel. Le blanchiment des divers objets fonctionne comme alchimie visuelle et transmutation à froid pour créer une sorte de remise à “00”. Sauf qu'ici, son application un peu grossière laisse deviner la nature du nombre de bout de bois . Cela dessine un volume sculptural à la croisée d'un espace réel et d'un espace inventé, à la croisée de l'extérieur et de l'intérieur, qui se représente en confrontation d'une utopie échappée du quotidien avec une entropie de White Cube primitive "naturelle" dans une exposition. L'artiste travaille cette "grille" comme une partition de sculpteur classique, à la fois en développant la forme par assemblage d'ajouts et en la taillant direct comme un matériau brut. Pour récupérer ce que disait Samuel Beckett, la tâche de l’artiste est de trouver une forme qui accommode le gâchis et le désordre de la vie et du temps. Ce travail passe ici par une pratique sculpturale du cutting et de l'editing à la manière de Thomas Couderc.

L'ours Timothy (en référence à Timothy Treadwell, l'écologiste américain amoureux des ours au funeste destin sur lequel Werner Herzog a réalisé son film Grizzli Man) est la vedette, l'acteur principal de Pilote 00.001. Timothy (tout comme ses "petits frères", "brouillons de maquette" et figurants) est une statue, une expérience totémique, une créature hybride spectaculaire et surnaturelle, qui devrait inspirer avec un certain décalage effroi et fascination.

Il représente une figure prise dans une posture théâtrale qui oppose la violence sourde de la bête sauvage (Ursus arctos horribilis) qui défend son "espace personnel" et la métaphore héraldique domestique un peu enfantine ou déjantée ("Papa Ours"), comme une sorte d'image nostalgique d'un pays perdu qu'il faut à chacun faire l'effort de se projeter pour le retrouver.

Thomas Couderc envisage la sculpture comme "machine à se faire des films". Les pièces sont performatives à un niveau physique, imaginaire, formel, narratif, humain. La sculpture est ici une histoire non écrite, en cours de réalisation. La matrice de bois donne ici le rythme et la trame de l'installation et permet de sertir l'action. Le "plan" de l'ours en insert, sculpture figurative qui joue une "image de synthèse". Ses composants sont issus d'une mythologie propre à l'artiste.

Luc Jeand’Heur

 

Remerciements : Romain Rondet, Laurent Barbier, Emilie Perez, Remi Dall’aglio, Philippe Coniglione, Atelier Gest, Nathanael Pietrzak-Swirc, Teoman Gurgan, Anthony Robert Vial»

 

EXPOSITIONS RÉCENTES :

Thomas Couderc sera prochainement en résidence à la Fonderie Darling (Montréal) dans le cadre d’un échange avec Astérides (Marseille).Il a été présenté en 2013 dans la section « Show room » du salon international d’art contemporain ART-O-RAMA (Marseille). Il expose régulièrement au travers du projet intitulé L’EPOPée composé également de l’artiste Teoman Gurgan, en 2012 ils ont notamment exposé au Festival des Arts Ephémères de Marseille.